Approvisionnement en eau à Martigny : anticiper les défis de demain grâce aux données

Les distributeurs d’eau font face à un défi de taille : garantir l’approvisionnement en or bleu dans un contexte de changement climatique. Dans le cadre de l’Espace Innothèque à la Foire du Valais, Adrien Fournier, responsable du service Eau & Chaleur chez Sinergy, et Antoine Carron, hydrogéologue au CREALP, ont présenté leur collaboration pour anticiper l’avenir de l’eau dans la région de Martigny, en misant sur les données et la modélisation.

L’histoire de l’eau à Martigny illustre l’évolution des besoins d’une ville. En 1910, les sources du Brocard alimentaient les fontaines des quartiers de Martigny. Dans les années 50, la croissance démographique a poussé la commune à acheter les sources du Marioty, dans le vallon de Champex, sur la commune d’Orsières. Les années 70 ont vu la construction du grand réservoir de la Bâtiaz, réponse aux pénuries de fin d’été des années 60.

Aujourd’hui, Martigny et ses 20’000 habitants disposent d’une capacité suffisante grâce aux captages du Brocard, de Bienvenue, du Gondran et de Marioty. Mais la planification se fait sur 50 ans. « On doit déjà se projeter sur les besoins à l’horizon 2060-2080 », précise Adrien Fournier.

Trois menaces pour les ressources en eau

Le constat est clair : l’eau captée à Martigny ne provient pas de glaciers, mais de la fonte des neiges et des précipitations. « Dans 50 ans, avec le réchauffement climatique et moins de neige, que va-t-il se passer ? », interroge Adrien Fournier.

A l’échelle suisse, mais également pour ce qui concerne Martigny et sa région, trois effets du changement climatique menacent en outre l’approvisionnement :

  • Moins de stockage sous forme de neige
  • Des précipitations intenses, mais peu utilisables en raison du matériel charrié, suivies de sécheresses
  • Une augmentation des besoins en eau, notamment pour l’irrigation

Des données pour comprendre et anticiper

Pour répondre à ces défis à l’échelle de Martigny, Sinergy s’est tourné vers le CREALP et ses outils de modélisation. « Il faut à la base des données fiables. Ces données doivent ensuite être traitées et valorisées. La donnée est au cœur du problème », explique Antoine Carron.

L’analyse de dix ans de données révèle des variations saisonnières marquées dans le réseau de sources octodurien : moins d’eau en février-mars, davantage en juin-juillet. « La source réagit aux événements de fonte », précise l’hydrogéologue. L’analyse montre également que certaines ressources sont plus vulnérables aux sécheresses que d’autres.

À partir de ces données, un modèle a été créé pour simuler différents scénarios climatiques jusqu’en 2100. « Le modèle simplifie la réalité, mais il permet d’identifier des tendances claires : le pic de débit viendra plus tôt dans l’année, et les débits diminueront en été et en automne », selon Antoine Carron.

Un déficit prévisible

Les projections à long terme réalisées par le CREALP sont instructives. « En été et dans un scénario pessimiste, il pourrait y avoir un manque jusqu’à 170’000 m3, sur un total distribué de 2,5 millions de mètres cubes chaque année », révèle Adrien Fournier. Ce chiffre représente des journées où l’eau manquerait pendant quelques heures.

« Si on ne fait rien, on va probablement manquer d’eau. Il faut soit chercher de nouvelles sources, soit économiser », résume le responsable de Sinergy.

Trois pistes pour l'avenir

Plusieurs options s’offrent à Martigny pour sécuriser son approvisionnement. La source de Bienvenue, très profonde et en plaine, pourrait fournir un appoint. La nappe du Rhône est une autre possibilité, mais sa qualité pose question en raison des PFAS et autres polluants.

Une solution prometteuse pourrait venir des barrages. « L’eau d’Emosson est d’excellente qualité et en quantité. L’usine électrique est en plaine et arrive à côté du réseau d’eau. C’est, de surcroît, facile à mettre en place au niveau des infrastructures », explique Adrien Fournier.

« La capacité des barrages est bien plus grande que les besoins d’eau des villes pour l’eau potable », rassure-t-il. Des contrats simples et efficaces pourraient ainsi être négociés avec les exploitants de centrales.

Un suivi continu indispensable

Pour Antoine Carron, la clé réside dans la qualité du jeu de données:  « Les modèles qui s’appuient sur des données régulières, avec un long historique, représentant l’eau disponible avant prélèvement produisent des résultats fiables, avec moins d’incertitudes. Ce qui, en finalité, contribue à réduire les risques financiers lors des investissements. »

« On aura moins d’eau, mais il y aura toujours de l’eau. Le prix de l’eau devrait monter, et certaines communes auront probablement besoin de capacités de stockage saisonnier. Reste que l’impact du stockage sur le prix final de l’eau dépendra fortement du contexte de distribution local. », souligne Adrien Fournier.
Ce dernier questionne également nos habitudes. « L’eau hyperabondante actuellement est due à la fonte des glaciers et à l’étendue du manteau neigeux. Mais lorsque les glaciers ne seront plus là et que la neige se fera plus rare, on risque d’avoir des rivières à sec en été, à l’instar de ce qui se voit dans le bassin méditerranéen. À voir si les pelouses vertes seront toujours d’actualité en pleine sécheresse en Valais. »

Informations complémentaires : www.sinergy.chwww.crealp.ch
Propos recueillis lors de la conférence à l’Espace Innothèque, Foire du Valais, 2025

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