Des prévisions des apports en eau à très court terme pour améliorer les planifications de production hydroélectrique !

Au sein de l’Hydro Alps Lab sur le Campus Energypolis, une chercheuse s’intéresse de près aux prédictions des apports en eau à très court terme. Mathématicienne de formation, Emilie Neveu jongle entre les méthodes et les données pour proposer des prédictions aussi précises que possible. Ces informations sont particulièrement utiles pour améliorer les planifications de production d’énergie des centrales au fil de l’eau. Rencontre avec Emilie Neveu, qui nous parle de ce projet passionnant qui l’occupe depuis près d’une année.

Emilie, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai rejoint l’Hydro Alps Lab de la Haute Ecole d’Ingénierie en tant que Data Scientist en novembre dernier. Je suis mathématicienne et informaticienne de formation et j’ai effectué un solide parcours dans la recherche académique, où j’ai développé et appliqué des algorithmes de prédiction et d’optimisation pour l’océanographie physique et la biologie moléculaire. Ma spécialité, c’est tout ce qui a trait aux données et aux modèles, ainsi que les façons de combiner les deux. Je m’intéresse aussi au machine learning.

Parlez-nous un peu plus de vos recherches sur la prédiction des apports en eau …

Il s’agit d’un projet assez neuf pour moi, qui est conduit en partenariat avec les Forces Motrices valaisannes (FMV). J’effectue des prédictions à très court terme, de l’ordre des quelques heures suivantes. Les centrales au fil de l’eau turbinent en fonction du débit de la rivière. Dans ce cas, mieux prédire les débits d’eau permet de diminuer les pénalités financières dues à une mauvaise prédiction de la production.

Pour stabiliser le réseau électrique, l’offre doit toujours être égale à la demande. Chaque producteur d’électricité se doit d’annoncer la veille pour le lendemain sa production. Ces informations permettent une vision des flux énergétiques prévus en Suisse. Lorsque, dans une centrale, la quantité de production annoncée ne correspond pas à la quantité produite, d’autres centrales doivent réduire ou augmenter leurs productions. Cela engendre des coûts qui sont facturés à la centrale “fautive”. Le coût des pénalités est proportionnel à l’écart entre la production annoncée et la production effective. D’où l’importance de déterminer précisément la quantité d’énergie qui sera produite dans les prochaines heures, grâce aux prédictions.

Les principaux apports en eau des centrales au fil de l’eau proviennent des rivières en amont. La pluie joue un rôle mais les turbinages au niveau des barrages d’accumulation modifient également fortement le débit. Ceux-ci ne dépendent pas forcément de contrainte hydrologique : le turbinage est effectué selon les besoins du marché de l’énergie, d’après la consommation. Les prédictions que j’ai effectuées concernent une des centrales au fil de l’eau gérée par FMV, qui est utilisée comme pilote.

Concrètement comment sont calculées ces prédictions ?

Il s’agit de prédictions selon des modèles empiriques, basés sur les données. Les données sont récoltées à l’aide de capteurs. Il s’agit par exemple des données de débit, de production ou météorologiques. Utiliser une grande quantité de données sur plusieurs années permet de lisser les résultats et de diminuer la marge d’erreur.

Pour ce projet, FMV nous a fourni les données et nous avons effectué l’analyse au sein de l’Hydro Alps Lab. Nous avons utilisé des outils de statistiques pour sélectionner les données importantes. Un des résultats montre qu’il existe un comportement saisonnier assez fort pour ces données.

Aujourd’hui, beaucoup de modèles de machine learning existent et nous en avons sélectionné quelques-uns qui sont plus appropriés aux séries temporelles. Chacun contient de nombreux paramètres. Une partie de ces paramètres est apprise à partir des données. Durant la phase d’apprentissage, où nous fournissons à l’algorithme des informations du passé, les paramètres sont ajustés pour que les écarts entre les prédictions et les données réelles soient minimisés. Dans ce projet, la phase d’apprentissage était très rapide et a duré entre 10 et 40 minutes, selon les algorithmes. L’algorithme a ensuite été utilisé avec des données du passé non inclues dans la phase d’apprentissage pour mesurer la précision des prédictions. En comparant les résultats de l’algorithme aux données réelles de débit et production de la centrale, nous avons pu mesurer la précision de nos prédictions.

Pourquoi avez-vous choisi de vous focaliser sur les prédictions à court-terme ?

Ce choix résulte d’un ensemble de choses. En 2019, j’ai participé à un challenge proposé par le BlueArk Challenge, qui se déroulait alors sous la forme d’un hackathon. Le défi était de prédire les débits à très court terme pour les torrents. Avec les centrales au fil de l’eau, la problématique reste la même. Cette thématique a intéressé FMV qui nous a proposé d’essayer cette méthode dans le cas des centrales au fil de l’eau.

Quels sont les avantages de la prédiction des apports à très court terme ?

Le principal avantage réside au niveau de la diminution des coûts de réajustements dus aux modifications non prévues de production. Les prédictions à très court terme permettent également de mieux planifier la production d’électricité. Cette méthode pourrait être appliquée tout au long du Rhône, où l’on observe une cascade de centrales au fil de l’eau qui dépendent les unes des autres. Cela aiderait à une gestion coordonnée des centrales pour les rendre globalement plus efficientes.

Quelles entreprises pourraient être concernées par ces recherches ?

Dans notre consortium, l’entreprise Alpiq avait fait part de son intérêt pour nos méthodes afin de réaliser des prédictions le long de l’Aar où il y a également plusieurs centrales au fil de l’eau.

Ces mêmes méthodes sont utilisées pour essayer de prédire la production des éoliennes. Elles s’appliquent pour tout ce qui est en lien avec l’énergie et la météo. C’est évident que l’intérêt pour ces méthodes de prédiction est fort : comme nous utilisons de plus en plus d’énergie intermittente (solaire, éolien), s’il y a une baisse de production au niveau solaire ou éolien, celle-ci impacte indirectement l’hydraulique. En effet, cette source d’énergie va devoir combler le manque en augmentant la production d’hydroélectricité. Dans ce contexte, l’Hydro Alps Lab cherche aussi à rendre encore plus flexible l’énergie hydraulique, en vérifiant expérimentalement et numériquement que les machines peuvent s’adapter à de nouveaux modes de fonctionnement.

Ces méthodes de prédiction à court terme ont l’avantage d’automatiser des éléments qui deviennent de plus en plus compliqués. Le marché de l’énergie est complexe et les sources d’énergie se multiplient dans un système complètement dépendant. Disposer de prédictions fiables est un réel avantage pour les entreprises du domaine.

Quelles sont les prochaines étapes de vos recherches ?

Nous avons des prédictions de production, nous voulons maintenant estimer les gains et les coûts financiers de ces prédictions pour les comparer aux coûts réels. Cela permettra de quantifier l’intérêt de ces méthodes avant de les mettre en place opérationnellement.

Selon vous, quels avantages peut-on tirer des prédictions des apports en eau sur du plus long terme ?

En fait, depuis de nombreuses années, des outils de prédiction sont utilisés. Par exemple, pour le très long terme, on peut avoir accès à des projections climatiques. Couplées à des modèles de processus hydrologiques, elles permettent d’avoir une estimation des besoins de stockage, par exemple pour l’irrigation, ou pour dimensionner de nouvelles machines hydrauliques.

Actuellement, Alpiq et FMV travaillent avec une start-up basée à Morges, baptisée Wegaw, qui fait de la prédiction des apports en eau dus à la neige en utilisant de l’imagerie satellite. Pour estimer la production annuelle des usines hydroélectriques, c’est intéressant d’avoir une estimation de la quantité de neige hivernale et, plus précisément, quand la fonte va débuter. L’intérêt pour les prédictions des apports en eau va croître, que ce soit pour du court terme ou du plus long terme.

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