Gestion de l’eau : le droit doit s’adapter à l'incertitude climatique
Dans un contexte où le dérèglement climatique bouleverse les régimes hydrologiques, il devient crucial d’adapter le droit pour gérer efficacement les ressources en eau. Le professeur Thierry Largey, du Centre de droit public de l’Université de Lausanne, propose des solutions novatrices pour intégrer l’incertitude climatique dans le cadre juridique. L’idée est de rendre le droit plus flexible et réactif face aux changements environnementaux.
Thierry Largey était l’un des orateurs de la BlueArk Conférence en novembre dernier. A cette occasion, il a donné une interview au quotidien Le Nouvelliste, dont voici les éléments essentiels. L’interview complète est disponible sur le site web du Nouvelliste.
Le changement climatique introduit une incertitude croissante dans la disponibilité de l’eau, rendant les droits d’usage existants souvent inadaptés. « La gestion de l’eau est un domaine complexe qui remonte loin dans l’histoire, nécessitant une adaptation des droits pour faire face aux nouvelles réalités environnementales. Les concessions hydroélectriques, par exemple, sont souvent accordées pour une durée de 80 ans, sans possibilité d’adaptation facile en cas de pénurie d’eau », précise Thierry Largey. Cette rigidité devient problématique lorsque les circonstances environnementales évoluent.
« Flexibilité encadrée » pour les exploitants de barrages
Pour répondre à cette problématique, M. Largey propose d’introduire une « flexibilité encadrée sur les débits résiduels ». Actuellement, le volume d’eau que les barragistes doivent laisser couler dans les rivières est fixe, quelles que soient les évolutions des besoins et des ressources. Il suggère de permettre des ajustements ponctuels, sans devoir modifier la concession, afin de répondre aux besoins essentiels de production d’énergie ou de protection des fonctions naturelles des cours d’eau.
Une autre piste explorée par le professeur est l’introduction de « scénarios en droit », des régimes juridiques prédéfinis adaptés aux différents degrés de pénurie. Cette approche permettrait d’anticiper les mesures à prendre en cas de sécheresse, offrant une certaine sécurité juridique tout en permettant une adaptation réactive.
Une réserve climatique
Pour les périodes de sécheresse, M. Largey envisage la création d’une « réserve climatique ». Cette réserve permettrait de conserver de l’eau pour l’arrosage ou l’eau potable, tout en turbinant l’eau réservée tant que le besoin n’existe pas. « Tant que le besoin n’existe pas, l’eau réservée pourrait être turbinée », précise-t-il. Ce mécanisme, intégré dans une loi ou un acte de concession, offrirait une solution pratique et flexible.
Le dérèglement climatique impose une flexibilité du droit, car il introduit des incertitudes avec des conséquences importantes sur la société, l’économie et l’environnement. « Nous devons également anticiper les effets des changements environnementaux et s’y adapter », insiste M. Largey. Le cadre légal doit rester clair et garant de sécurité, tout en intégrant une marge de manœuvre permettant une approche évolutive de la gestion de l’eau.
Bien que peu d’exemples historiques existent, cette réflexion commence à fleurir dans divers domaines. En France, des réflexions similaires sont menées en matière de prévention des pénuries d’eau. La flexibilité encadrée du droit est également explorée dans l’urbanisme, l’aménagement du territoire et la gestion de la biodiversité.
Informations complémentaires
Interview complète sur le site web du Nouvelliste
Source : Le Nouvelliste, interview réalisée par Alexandre Beney